Accueil - Mon histoire - Sa retraite et les derniers jours de sa vie terrestre

Sa retraite et les derniers jours de sa vie terrestre

C’est le 27 mai 2010 que Sylvain a pris sa retraite. C’était un moment qu’il attendait déjà depuis fort longtemps. Son travail ne lui donnait plus que de rares instants de satisfaction, parmi lesquels se comptaient les belles relations qu’il entretenait avec la majorité de ses collègues de bureau. En termes d’accomplissement personnel, c’était même sous zéro selon sa perception, et ce depuis au moins une dizaine d’années. C’est dire qu’il fondait de grands espoirs en cet événement qu’il voyait comme une libération de sa prison dorée. C’est malheureusement le cas de plusieurs fonctionnaires qui, grâce ou plutôt à cause d’un régime de retraite somme toute assez confortable, n’osent pas changer d’emploi dans les dix ou quinze dernières années de leur carrière, même s’ils sont malheureux comme les pierres.

Son souper de retraite a été un moment extrêmement fort de sa dernière année sur cette terre. Sylvain a reçu tant et tant d’amour de la part de ses collègues de travail qu’il en est resté bouleversé pendant plusieurs jours. J’avais d’ailleurs pris congé le lendemain et nous avons regardé ensemble, main dans la main, les vidéos et l’album photos que ses collègues et amis avaient préparés en son honneur. C’est un des moments de rapprochement émotionnel entre Sylvain et moi dont je me souviendrai toute ma vie ; il n’y en aura plus beaucoup d’autres par la suite, sur le plan terrestre du moins.

Les inquiétudes pour sa santé

Sylvain avait eu des inquiétudes pour sa santé à partir du printemps 2010. Il ressentait de vagues douleurs qui pouvaient ressembler à de l’angine, de même que de l’essoufflement, mais il n’était pas sûr que ça se comparait vraiment à ce qu’il avait connu en 1998. Cette année-là, tristement célèbre au Québec à cause de la « crise du verglas », Sylvain avait eu des douleurs d’angine dès la fin de janvier, douze jours à peine après que l’électricité fut revenue chez nous. On lui avait diagnostiqué de l’athérosclérose, surtout dans une de ses artères qui était complètement obstruée. Il avait eu droit à de multiples examens, à des bêtabloquants qui le laissaient sans énergie, et finalement, à deux angioplasties (pas juste une !) pour réussir à débloquer ses artères.

En 2010, les questionnements et l'anxiété de Sylvain à l'égard de sa santé ont malheureusement duré presque jusqu’à la fin. Et ses quelques visites chez le médecin, du printemps à la fin de l’automne 2010, ne lui ont pas donné l’heure juste… jusqu’au 3 décembre. Lors d’un rendez-vous le 1er décembre, son cardiologue lui avait prescrit une échocardiographie de stress pour que le diagnostic puisse se faire rapidement, en direct. Cet examen, effectué le vendredi 3 décembre, a effectivement permis de diagnostiquer un blocage et de bien voir où il se situait, mais a par contre déclenché de l’arythmie (fibrillation auriculaire) qui a pris beaucoup de temps à se stabiliser. Sylvain a donc été admis à l’hôpital pour la fin de semaine, afin d’être sous surveillance médicale 24 heures sur 24, avant d’avoir son angioplastie le lundi 6 décembre. Je n’ai pas eu le droit de l’accompagner pour cette intervention qui se déroulait dans un autre hôpital, et j’attendais des nouvelles au bureau, anxieuse bien évidemment. Lorsque l’infirmière accompagnatrice m’a téléphoné, j’ai sauté de joie en apprenant que tout s’était bien déroulé, et je me suis précipitée à l’hôpital Charles-Lemoyne où Sylvain était revenu. Il a dû y rester jusqu’au mercredi soir, 8 décembre. Nous sommes allés le chercher vers l’heure du souper; il était bien heureux de revenir à la maison, mais stressé et agacé de devoir, quotidiennement durant au moins un mois, d’une part se rendre au CLSC pour une prise de sang et, d’autre part, s’injecter lui-même un médicament.

À l'hôpital, en urgence

Ce soir-là, nous avons regardé nos émissions de télévision favorites et je me suis couchée assez tard, comme très souvent. Sylvain est resté éveillé puisqu’il n’avait plus besoin de se lever tôt. Mais vers 1 heure du matin, alors que je commençais à peine à m’assoupir, il est entré dans la chambre en me disant : « Christiane, je ne sens plus mon bras gauche, je pense que je fais un AVC » et, comme je m’approchais pour l’aider à s’étendre sur le lit, il a ajouté « Maudite belle retraite ! » par deux fois avec des pleurs dans la voix… J’ai alors vu toute l’angoisse qu’il ressentait, ses yeux qui glissaient vers l’extérieur et son regard devenir très bizarre alors qu’il prononçait d’une voix pâteuse : « Je me sens comme gelé… ». J’ai rapidement composé le 911. Il a été transporté à l’hôpital Charles Lemoyne, qu’il avait quitté seulement quelques heures plus tôt : quelle ironie! Un peu plus tard, alors que nous étions dans la salle des familles, nos enfants, leurs conjoints et moi, on est venu nous dire que Sylvain avait fait une hémorragie cérébrale massive et que son état était extrêmement sérieux. Un neurochirurgien a tenté de résorber l’hémorragie, et on l’a placé sous médication, sous respirateur, aux soins intensifs ; il y restera branché de partout, dans le coma, toute la fin de semaine qui suit. Sa famille et ses amis se succéderont à son chevet, et tous, nous prierons pour qu’il nous revienne.

Mais le lundi 13 décembre, le neurochirurgien m’annonce que l’hémorragie s’est propagée à l’autre lobe cérébral et que continuer les soins serait de l’acharnement thérapeutique. Que si Sylvain se réveillait, il ne serait plus qu’une loque humaine, en CHSLD. À nous donc de choisir de poursuivre les soins ou de le débrancher. Tu sais, jusque-là nous avions encore, malgré tout, de l’espoir… Nous avons pris ensemble cette difficile décision, nos enfants, ses frères, sa sœur et moi. Tout a été enlevé le soir du 13 décembre. Et le 15 décembre, à 2h33 du matin, il rendait son dernier souffle…